La rencontre, un soir de mai, avec une jeune femme qui pratiquait l'hypnose, et son témoignage concernant son choix de l'outil hypnotique parmi d'autres approches m'a fait réaliser à quel point l'hypnose était indiquée pour les personnes qui, pour une raison ou une autre, appréhendent les discussions intimes et/ou la communication verbale avec une autre personne, quand bien même elles souhaitent entreprendre un travail d'amélioration de leur bien être.
En réfléchissant plus avant, cette indication favorable m'a semblé tenir à l'importance surprenante et méconnue du silence - entendu comme absence de parole - dans le processus hypnotique.

Quand parler de soi ne va pas de soi
Parler de soi, dire sa douleur ou son ressenti ne va pas toujours de soi. Et si cela peut devenir simple au cours d'une thérapie, ça l'est rarement au début. Même quand on le voudrait bien.
Parfois, c'est le manque d'habitude et d'outillage verbal qui fait que l'on ne sait pas trop en quoi consiste parler de soi, de son ressenti. "Les mots me manquent. Quand vient le moment de parler de moi, je ne sais sincèrement pas quoi dire !" L'environnement social et familial dans lequel j'ai grandit peut avoir encouragé une culture du taiseux, de sorte que je ne suis pas du tout équipé.e pour dire, tant et si bien que je ne me parle même pas à moi-même de ce que je ressens dans mes discours intérieurs 1. Alors en parler aux autres, en voilà une sacrée affaire !
Et puis il y a ces situations où l'on sait ce qui pourrait être dit, mais il existe des mécanismes complexes de blocage de la parole, bien verrouillée par nos peurs, nos hontes et celles généreusement partagées par les gens de notre entourage affectif et sensoriel (ces blocages que décrit fort bien Boris Cyrulnik dans Mourir de dire). Dans ces moments là, parler, formuler, ce serait amener à la réalité et à la conscience quelque chose d'inconcevable, d'in-nommable tant c'est complexe et effrayant. Face à la peur, faire des tas de poussières sous le tapis nous semble tout à fait acceptable à très court terme, comme mécanisme de déni protecteur, et ce malgré l'amoncellement délétère et de moins en moins gérable à moyen terme 2.
Certains jours encore, on n'a tout simplement pas l'énergie de communiquer et l'on aspire à se retirer du bruit du monde pour se ressourcer. On n'est pas dans le mood. Rien de plus indisposant alors qu'une intrusion autoproclamée "bienveillante" qui vous incite lourdement à communiquer et "de façon non-violente s'il vous plait", transformant avec une efficacité qui force l'admiration notre silence-intégrité passager en silence-hostilité. Alice Miller a abordé dans ses recherches sur l'enfance le cas des personnes devenues adultes pour qui la communication non-violente fondée sur l'identification de ses besoins propres est insensée 3.
Enfin, il y a de belles personnalités pudiques ou timides pour qui se confier outre mesure, qui plus est auprès d'un.e quasi inconnu.e, sans être menaçant, peut être malaisant.
L'hypnose ou la possibilité du silence opérant
Ma jeune interlocutrice faisait partie de ceux-là.
"Je n'aime pas parler de moi, je n'en ressens pas le besoin. Cela me demande un effort que je ne suis pas capable de faire.
En revanche, quand j'ai découvert l'hypnose, ça m'a... parlé. C'est vous qui parlez, je n'ai rien à faire que d'écouter et laisser venir ce qui vient. Voyez-vous j'aime cette manière de régler mes problèmes en silence."
Cette jeune femme qui se connaissait bien venait de mettre le doigt sur un avantage non négligeable de l'outil hypnotique : il vous laisse le choix de vous livrer ou pas, à votre rythme, en fonction de ce qu'on peut ou veut dire ce jour là, sans que cela affecte outre mesure le travail actif et passif de reconfiguration et de prise de confiance réalisé ensemble au cours d'une séance.
La personne qui vient en rendez-vous peut ainsi renouer avec le langage en développant ses capacités d'écoute active de ce qui est et ce que le praticien y dit. Ce développement d'habileté, c'est déjà une réappropriation de sa capacité d'agir.
Cela représente un préliminaire intéressant dans un parcours de soin. Notamment si vous consultez justement pour des difficultés d'ordre communicationnel, ou dans une situation de trauma complexe où la restauration du sentiment de sécurité est primoridial ou bien encore en début de psychothérapie, pour lever les blocages initiaux à la communication avec un thérapeute qui est aussi un nouveau challenge pour l'anxieux social. Cela libère de l'effort initial du "raconter-moi-ce-qui-vous-arrive" (effort parfois collossal et oh combien ! courageux) tout en progressant vers cette capacité à nommer.
Mais alors cette possibilité de mutisme côté hypnotisé serait-elle le seul silence à agir activement au cours de la séance ?
Silence émancipateur de l'hypnotiseur, silence autonomisant de l'hypnotisé
Contrairement à la vision comique et répandue de l'hypnotiseur-fascinateur de divertissement qui parle de façon discontinue pour maintenir l'emprise de LA VOIX, le praticien en hypnose sait l'importance d'activer alternativement les bienfaits de certains mots ET les bienfaits du silence.
En séance en effet, client et praticien sont là pour écouter venir et s'installer chez la personne ce qui n'était pas là en début de séance et qui émerge au cours de la transe (images, mots, représentations, sensations...).
Sans le silence, comment entendre ce qui est ou ce qui n'est pas sans cette écoute nécessaire et cruciale de ce qui se passe en soi et autour ? Aussi le silence évoqué par la jeune femme de notre histoire est-il autant le silence du client qui a un mal à dire que celui du praticien qui l'emploi comme un espace-potentialisateur, un vide qui laisse à la personne l'espace pour laisser advenir chez lui ce qui doit advenir.
Il n'est d'ailleurs pas rare que le client lui-même s'offre ce silence pendant l'induction, lorsqu'avec un peu de pratique on re-connaît les instants où on en a besoin et l'on prend la décision de s'absenter de ce que le praticien raconte tout en restant présent à sa voix peut-être, à son rythme. Comment le client crée-t-il lui-même ce silence pendant l'induction où l'espace sonore et attentionnel est occupé par les suggestions du praticien ? Et bien grâce à notre capacité incroyable et décuplée pendant la transe d'entendre à la fois la voix qui nous parle et de nous en affranchir pour suivre nos propres chemins internes ouverts par ces mêmes suggestions !
Pour le praticien, cette situation où le client se fait assez confiance pour faire taire ce qu'il lui raconte afin de suivre sa propre exploration au cours de la transe, en autonomie, est un signe qu'un bon bout de chemin a été parcouru ensemble et que le savoir-faire de suggestion, l'art de combiner les sons, les sensations, les souvenirs, les désirs et les images pour composer des solutions adéquates, est en cours d'acquisition chez l'apprenant.
Apprenant qui, bien souvent, qu'il soit lui-même plutôt locace ou silencieux dans le processus hypnotique, prend goût à cette libération silencieuse et mélodique de son imaginaire.
En parlant de mélodie, rendez-vous pour le prochain article qui laissera quelques fameux musiciens-interprètes parler de la place à donner au silence dans nos dialogues interpersonnels.
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Pour aller plus loin
lire sur l'endophasie, cette habileté de discours intérieur présente chez les êtres humains
cet article de l'Association for Contextual Behaviour Science explique bien les effets multi-temporels du déni : "Les conséquences à court terme d'un comportement ont un impact bien plus grand sur sa fréquence que les conséquences éloignées. Quand bien même elles s'avèrent souvent destructrices ou à tout le moins contre-productives à long terme, les manoeuvres d'évitement d'expérience apportent généralement un soulagement à court terme".
"Les nombreux ouvrages d'initiation à une communication sans violence [...] sont certainement profitables pour des personnes qui, enfants, avaient le droit de montrer leurs sentiments, sans courir pour cela aucun danger [...]. Mais des enfants grièvement blessés dans leur identité ne sauront pas, plus tard, ce qu'ils ressentent et ce dont ils ont véritablement besoin. Il leur faudra passer par une thérapie pour l'apprendre et le vivre [...]". Alice Miller, Ta vie sauvée enfin, Flammarion, 2008.